Retraites 1884
|

|
SIXIÈME
INSTRUCTION
Saint Bernard, Sainte Jeanne de Chantal, l’obéissance
Il ne faut pas oublier les saints pendant notre retraite. C'est aujourd’hui
saint Bernard, le patron du Collège, et un peu aussi de la Congrégation.
Saint Bernard nous appartient par le pays. La plus grande partie de sa vie
s'est écoulée près d'ici, à Clairvaux, qui était alors du diocèse de
Troyes. Mais il nous appartient surtout par l'esprit. Aucun saint n'a ressemblé
davantage à saint François de Sales. C'est le même esprit, le même cœur,
le même culte de Notre-Seigneur et de la Vierge Marie, le même langage, le même
style. Ce n'était pas la même langue, mais peu s'en faut. Lisez saint
Bernard, c'est presque du français, c'est tellement du français que, quand
on l'a traduit, pour comprendre la version il faut recourir au latin. Le
Souverain Pontife Pie IX, en déclarant saint Bernard et saint François de
Sales tous deux Docteurs de l'Eglise à peu d'intervalle, semble avoir voulu
les mettre sur le même pied et apporter un témoignage de plus à leur
ressemblance. Lisez saint Bernard. Il y a là des pages délicieuses. Quand il
est au milieu de ses novices: “Qu'êtes-vous venus chercher dans la Claire
Vallée, qu’êtes-vous venus voir ? Un roseau agité par le vent ? (Il était
d'une faiblesse et d'une maigreur extrêmes.) Oh! non. Eh! bien si, pourtant,
c'est pour cela que vous êtes venus voir Bernard, non pas à cause de lui
sans doute, mais parce que Bernard a reçu pour vous, de la Vierge Marie,
beaucoup de choses, et qu'il doit vous émietter le pain céleste, à vous
pauvres petits oiseaux de la forêt”.
Ce soir, on a chanté les premières Vêpres de sainte de Chantal. Les
Constitutions qu'on nous a renvoyées de Rome, il y a quelques semaines, et
que la Propagande a fait imprimer, portent que nous devons nous conformer aux
enseignements de saint François de Sales et à ceux de sainte de Chantal.
J'ai été bien heureux de cette addition. Sainte de Chantal nous est donnée
elle aussi comme maîtresse et docteur. Sainte de Chantal vous aime bien. Elle
suppliait saint François de Sales pendant les dernières années de sa vie de
fonder une congrégation de prêtres. “On pourrait commencer ici,”
disait-elle — elle était à Paris — “ce serait une chose grandement
utile à l'Eglise de Dieu”. Il répondait: “Tout le monde me dit: «Pourquoi
vous occupez-vous des filles? Pourquoi ne fondez-vous pas une association de
prêtres?» Je vous le dis à vous, ma Mère, les hommes de deçà les monts
sont trop raisonneurs. Si je pouvais n’avoir que leur volonté sans leur
raisonnement, je tenterais l’affaire”.
Au lit de la mort, le prêtre qui assistait saint François de Sales lui
demande: “Bénissez-vous votre Congrégation?”— “Laquelle ?”,
demanda le saint. “L'Institut des Sœurs de la Visitation Sainte-Marie”.
Après un moment de silence, il dit: “Qui coepit opus ipse perficiet,
perficiet, perficiet” - [“Celui qui a commencé l’œuvre, c’est lui
qui la mènera à bonne fin, à bonne fin, à bonne fin”]. L’Institut croîtra,
il grandira, il se développera”. Et, après cette triple bénédiction, le
saint s'absorba dans sa prière. Que voyait-il? Que demandait-il à Dieu? Qui
sait? disait un Père Jésuite, le Père Coussin, quelques années après,
dans la préface d'un livre très curieux sur saint François de Sales, qui
sait si, en vertu de cette triple bénédiction, nous ne verrons pas trois
Ordres distincts surgir de ce rameau béni: la Visitation, puis cet Ordre
intermédiaire de Religieuses vivant dans le monde et menant cette vie plus
extérieure que le saint avait voulu d'abord, et enfin un Ordre de prêtres
s’inspirant de l’esprit du saint évêque de Genève?
Je ne veux pas me donner comme un visionnaire, mais je puis bien dire qu'au
moment où j'allais commencer la fondation des Oblats, la bonne Mère me
demanda si je ne croyais pas qu'un voyage à Annecy, au tombeau de saint François
de Sales, m’encouragerait et m'aiderait. J'arrivai dans l’église de la
Visitation. Elle était en réparation, tout encombrée d'échafaudages et de
décombres. Et je ne pus même arriver jusqu'auprès du tombeau du saint. Tout
ennuyé de ce contre-temps, je me mis à genoux au milieu du plâtre et de la
poussière pour faire le mieux possible mon pèlerinage. Je vis alors devant
moi sainte de Chantal qui s'avançait me tendant les bras, ayant sur sa figure
une expression de joie indicible. A mon retour, je rendis compte de mon voyage
à la bonne Mère sans lui parler de ce fait. “Est-ce tout ce que vous avez
eu?”, me dit-elle “Vous n'avez
pas eu autre chose?”— “Qu'est-ce que vous voulez que j'aie eu encore?”,
lui répondis-je, et je changeai de conversation. Elle revint à la charge les
jours suivants. Je finis par lui avouer ce qui m'était arrivé. “Mais, ma
bonne Mère, ajoutai-je, était-ce bien vrai? Si c'était de l’imagination?”—
“Répondez vous-même. Si c'était de l'imagination! Pouvez-vous dire cela?”
Je veux pourtant vous parler encore ce soir de l'obéissance. Les Oblats de
saint François de Sales, disent les Constitutions, obéiront à notre Saint-Père
le Pape, au Supérieur général, aux Supérieurs provinciaux et locaux. Toute
la Religion repose sur l'obéissance. Toute la Bible insiste sur l'obéissance.
Adam est chassé du Paradis terrestre parce qu'il a désobéi. La Rédemption
qui vient réparer la chute n’est qu'un grand acte d'obéissance. Abraham obéit
à Dieu en immolant son fils Isaac, obéissance héroïque, contre nature,
contre tout sentiment, contre toute raison. La récompense de cet acte est la
naissance du peuple de Dieu. Et voyez quelle délicatesse, quelle générosité,
Dieu réclame dans l’obéissance! Moïse a hésité une seconde en frappant
le rocher: “Tu marcheras quarante ans dans le désert et tu mourras à la
porte de la Terre Promise” (Nb 20:12; 27:12-14). Saül — ce n'était pas
un religieux — attendait le prophète pour offrir un sacrifice au Seigneur.
Le temps pressait, l'ennemi allait commencer l’attaque et le prophète ne
venait pas. Saül commence le sacrifice. Samuel arrive: “Parce que tu as
rejeté la parole de Yahvé, Yahvé t’a rejeté pour que tu ne sois plus roi
sur Israël” (1 S 3:26).
Les Réchabites pratiquaient une obéissance excessive (Jr 35), et quand
l’un d'entre eux avait commis quelque faute contre l'obéissance, il était
exclu de la vie commune et vivait à part, derrière une haie jusqu'à ce
qu'il ait expié sa faute. Voilà la Bible. Et l'Evangile tout entier n'est
qu'un acte d'obéissance.
Quand j'arrivai comme aumônier à la Visitation, j'avais vingt-trois ans, je
demandai à la Mère Paul-Séraphine, alors en charge: “Quelles vertus
faut-il recommander à vos Religieuses?” — "Oh! à la Visitation,
nous n'avons pas de vertus. Pourtant si nous en avions une, ce serait l'obéissance.
Prêchez-nous l'obéissance parce que tout est là, toutes les vertus que Dieu
demande de nous sont là”. C'est dur, c'est pénible. L'esprit actuel, les
journaux, l’éducation, tout va à l'encontre de l'obéissance. Brisez votre
volonté, vous ferez un miracle; et Dieu fera des miracles, s'il le faut, pour
récompenser l'héroïsme de votre obéissance. Près d'ici, à
Montier-la-Celle, il y avait un jeune novice du nom de Frobert. Il était
d'une obéissance à toute épreuve, obéissance qui ne raisonnait pas, qui
marchait les yeux fermés. “Allez me chercher la molaria” lui dit le maître
des Novices. La molaria était un petit compas, muni d'une petite roulette.
Mais on appelait aussi molaria la meule à écraser le grain. Frobert sort; il
trouve devant lui la meule, et persuadé que c'était ce qu’on lui avait
demandé, il la charge sur son épaule, quelqu'énorme qu'elle fût, sans
raisonner, sans calculer ses forces, et il l'apporte dans la cellule du maître
des novices stupéfait. Si un de ces jours, vous alliez en faire autant au Père
Rollin! C'est encore l'histoire de saint Maur. Novice, lui aussi, il accourt
à saint Benoît: “Frère Placide est dans l'étang, il se noie!” —
“Allez le retirer!”, lui
commande saint Benoît. Et Maur de marcher sur l'eau, héroïque dans son obéissance.
Il en retire son frère.
La bonne Mère Marie de Sales, elle aussi, voulait une obéissance absolue. Un
pauvre homme vient un jour au parloir; elle envoie auprès de lui une de ses
novices, qui est actuellement la Mère Marie de Sales de Bellaing. Le pauvre
homme allait à Nancy et n'avait pas le sou. Il expose sa détresse à la
novice, qui en est touchée. Elle avait apporté une fortune en entrant au
monastère. Elle va trouver la bonne Mère: "Si vous me permettiez, ma
bonne Mère, de donner quelque aumône à cet homme!”— “Que voulez-vous
donner ? Que vous reste-t-il à vous ? N'êtes-vous pas aussi pauvre que lui?
Si le bon Dieu veut vous envoyer quelque chose pour faire l'aumône à ce
pauvre, allez voir, montez au parloir du haut”. La Religieuse monte et
trouve au milieu du parloir une pièce de cinq francs qu'elle va porter au
pauvre. Obéissez, vous aussi, mes chers amis, obéissez contre votre jugement,
s'il le faut. Soyez héroïques.
|
|