TROISIÈME
INSTRUCTION
L’œuvre des Oblats
Notre bienheureux père, saint François de Sales, dit qu'une horloge, pour
bien fonctionner, a besoin d’être remontée toutes les semaines et nettoyée
à fond tous les ans. Il faut chaque semaine remonter les poids, et une fois
par an la remettre entre les mains d'un ouvrier soigneux qui la démonte pièce
par pièce, nettoie chaque rouage, les pivots, l'échappement, le balancier,
et facilite ensuite la marche entière du mécanisme en y glissant quelques
gouttes d'huile. A ces conditions seulement l’horloge aura une marche régulière.
Si l'ouvrier n'est pas soigneux, s'il n'accomplit pas bien exactement son
nettoyage, le mécanisme sera vite dérangé. L'horloge, dit notre saint
Fondateur, c'est notre âme. Nous remontons les poids par la confession de
toutes les semaines, nous nettoyons à fond la machine par la retraite.
Le premier jour de la retraite il faut faire le silence en son âme, éloigner
les préoccupations, accoiser son âme. Mais, dès le second jour, il faut
examiner les rouages et les nettoyer, se précautionner contre ce qui pourrait
déranger le mécanisme. Pour cela, nous n'avons qu'à suivre pas à pas le
Directoire, voir une à une nos obligations particulières, les devoirs du
sacerdoce. Nous sommes en famille, et je ne me gêne pas avec vous. Je puis
bien vous dire ce qui m'est arrivé. Je désirais préparer soigneusement
cette retraite. Depuis plusieurs jours j'avais feuilleté saint Thomas, la
Bible, notre saint Fondateur, que sais-je ? J'avais amoncelé des livres.
C'est du reste un genre d'études auquel je me livre volontiers. Mais
impossible de faire quelque chose. Hier, j'ai été toute la journée dans un
état impossible: un dégoût, une impuissance physique de m'appliquer à préparer
quoi que ce soit.
J'étais à la Visitation de Paris. Le confesseur, le Père Chaveton, me dit:
“La Mère Marie de Sales m'a joué un joli tour”. Et il me raconta cette
histoire dont la bonne Mère me confirma ensuite la vérité. Une Sœur
voulait faire une confession générale. Elle en avait déjà fait plusieurs.
Le père y consent, tout en jugeant cette confession peu utile, à cause des
scrupules de la Sœur. On fixa le jour pour commencer: il devait y avoir
plusieurs séances. La Sœur prévint la bonne Mère, qui ne lui dit pas
grand-chose, quoique cela la contrariât beaucoup. Mais la bonne Mère dit au
bon Dieu dans son oraison: “Voilà cette bonne Sœur qui veut toujours faire
des confessions générales, et voilà le père qui y consent, et qui va
mettre le trouble dans sa conscience et dans celle des autres Sœurs qui
voudront l'imiter. Prenez-les donc à la gorge tous les deux et empêchez-les
de faire cette confession générale”. Le jour où la Sœur devait commencer,
elle fut prise d'un mal de gorge qui l'empêcha d'aller à confesse, et le Père
Chaveton, à son tour, fut retenu plusieurs jours à la maison par suite de la
même maladie. Je crois que la même chose m'arrive et que le bon Dieu et la
bonne Mère Marie de Sales me prennent à la gorge pour m'empêcher de dire ce
que je voulais dire et m'obliger à vous parler d’autres choses qui seront
plus selon les desseins de Dieu.
Ce n'est pas un exemple à suivre pour nos prédicateurs de retraites.
Comprenez bien ce que je disais hier. Il nous faut notre esprit propre il faut
que nous soyons une moulure distincte dans les ornements architecturaux de la
Jérusalem céleste. Quand je vois la bonne Mère Marie de Sales travailler
pendant cinquante années de sa vie, nuit et jour, à fonder une chose; quand
je la vois préparer si péniblement tous les matériaux de ce qui était son
œuvre, sa vie tout entière; quand je lui demandais ensuite: “Quelle sera
donc cette œuvre, quelle sera sa forme extérieure, sa réalisation?” —
“Je n'en sais rien”, répondait-elle. C'est vous que Dieu a choisi
pour savoir cela, vous ferez ce qu’il vous dira. Est-ce une manière
d’agir humaine? N'est-ce pas une preuve de l’inspiration toute divine de
la bonne Mère ?
Quel est l'esprit de cette œuvre, en quoi consiste-t-il ? Qu'est-ce qui la
distingue des autres œuvres ? Nous ne sommes pas venus refaire ce qui a déjà
existé dans l'histoire et faire revivre les Ordres religieux d'autrefois.
Nous ne devons pas reproduire les Dominicains, les Franciscains, ni même les
prêtres de saint Ignace de Loyola. Nous ne sommes pas non plus les prêtres
du Sacré-Cœur. Sans doute, la dévotion au Sacré-Cœur est la grande dévotion
de ce siècle; c'est elle qui a fait tout le bien de ce siècle. Elle a inspiré
tant de Congrégations, d'Associations sacerdotales: les prêtres des Saints-Cœurs
de Jésus et de Marie, les prêtres de Picpus, le Sacré-Cœur. A Rome, à mes
derniers voyages, je ne voyais presque pas d'autels où ne fût exposée une
image du Sacré-Cœur, tant cette dévotion est universelle. La Mère Marie de
Sales aimait beaucoup le Sacré-Cœur, mais la dévotion au Sacré-Cœur n'était
pas son œuvre propre.
Quelle était donc cette œuvre? Le culte de la personne du Sauveur tout
entier, et non pas seulement de son Cœur Sacré. C'est à la personne du
Sauveur qu'on s’attaque aujourd'hui, en niant l'existence de cette personne
divine. N'est-ce pas à cela que tendent pratiquement les efforts des
francs-maçons? Il y a soixante ans, on attaquait le Sacré-Cœur, on se
moquait de Marguerite-Marie Alacoque. Aujourd'hui, on ne se moque plus du Sacré-Cœur,
c'est le Sauveur Jésus lui-même qu’on attaque, que l'on veut détruire.
Que ferons-nous donc, nous, que Dieu envoie au-devant de ce besoin nouveau de
l'Eglise? Nous nous appliquerons à faire revivre le Sauveur, à le reproduire,
à marcher et à agir avec lui, à le faire vivre en nous et par nous, en
toutes nos actions. “On verra le Sauveur marcher encore sur la terre”, dit
la Mère Marie de Sales. Qu'y a-t-il de plus indifférent que l'action de
marcher ? Voilà ce qu’il faut que le Sauveur fasse pour nous. C'est le
culte d'amour et d'action. L’œuvre de la Mère Marie de Sales, c’est la
contradiction des attaques faites directement à la personne du Sauveur. Et
qui donc prévoyait que ce serait là que se porteraient les coups de l'ennemi,
quand Dieu le révélait à la bonne Mère, il y a soixante ans?
C'est là que tendaient tous ses écrits, toutes ses paroles. Et c'était là
le fond de sa doctrine. On la consultait de toute part. Elle était en
correspondance avec une foule de personnages éminents. Malheureusement, on
lui obéissait trop, on a brûlé une grande partie de ses lettres. Plusieurs
évêques la consultaient, le cardinal Morlot, archevêque de Paris, les
archevêques de Paris, les évêques de Troyes, Mgr des Hons, Mgr Debelley,
Mgr Cœur, pauvre évêque qui avait à lutter contre son éducation première
et contre une grande partie de son clergé. Il écrivait à la bonne Mère:
“Ce n'est qu’à la porte de la Visitation que je trouve la paix et le
calme”. Et il m'écrivait à moi-même: “La Visitation, c'est
l'aristocratie du Ciel. Il se traite là des choses les plus divines et les
plus célestes”. J'ai bien d'autres témoignages; j’ai même des témoignages
éclatants des Souverains Pontifes, mais je ne les citerai pas. Comme la cause
de béatification de la Mère Marie de Sales est pendante, il faut être
prudent en faisant son éloge, et ne pas sembler préjuger une cause qui doit
être jugée canoniquement.

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