Retraites 1884
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ONZIÈME
INSTRUCTION
Pauvreté et chasteté
Je vous parlais hier de la pauvreté et je vous disais que nous ne pouvions guère
la pratiquer comme les autres religieux. Mais il y a dans la communauté des
membres qui la pratiquent à un degré héroïque, nos Pères du Cap. Le Père
Bécoulet m'écrit un journal abondant en détails. Pour la nourriture: pas de
vin, si ce n’est pour la messe, mais de l'eau salpêtrée; pas toujours de
la farine, et quand il y en a, elle est toujours mélangée de son. C'est un régal
quand ils peuvent tuer et accommoder une espèce de lapin tenant du rat et du
cochon d'Inde et dont la viande sent très fort. De temps à autre on tue une
perdrix, mais elles sont maigres et sèches. J'ai dit aux Sœurs de ne pas les
faire rôtir, mais de les faire cuire dans le riz. Elles ont essayé, mais le
tout avait fort mauvais goût. On l'a mangé joyeusement tout de même, en
disant: “Notre Père a dit que c'était bon comme cela!”
Ils sont logés souvent dans leur wagon ou sous la tente; ils ont froid la
nuit et le matin, et n’ont pas de vêtements suffisants; les leurs sont en
guenilles. Sans doute, il n'y a pas lieu d'être fiers, puisqu’il n'y a que
des Hottentots, mais encore il faut bien s'habiller! Leur travail est très
rude: “Je cuis des briques, écrit le Père Bécoulet et je les transporte
à une très longue distance pour les employer. C'est lourd, et je m'arrête
parfois épuisé en disant: «Dieu, faites que mes péchés ne soient pas si
lourds que mes briques»”. Notre saint Fondateur nous dit de penser aux austérités
des Pères du désert. O mon bienheureux Père, je vous demande la permission
de ne plus penser aux Pères du désert, mais à nos Pères du désert, mais
à nos Pères du Cap, si édifiants, si courageux. Le Supérieur du Grand-Séminaire,
M. de Liniers, me disait il y a quelques semaines: “Oh! vous avez une
mission; ce sera une bénédiction pour votre Congrégation!”
Un mot sur le vœu de chasteté. Par le vœu de chasteté, nous nous engageons
à ne pas contracter de mariage. Mais pour le vrai religieux cela doit aller
plus loin. Nous nous obligeons à nous priver de toute satisfaction purement
sensuelle, alors même qu'elle serait permise aux personnes du monde.
Mortification de la vue: pas de choses rares, curieuses dans notre cellule.
Evitons les satisfactions purement littéraires, les associations littéraires
de pur agrément. Il n'y en a plus guère maintenant, mais j'en ai vu encore
dans ma jeunesse. Au temps de Mgr des Hons, on invitait à nos examens ces sénateurs
des lettres. Ils arrivaient appuyés sur leurs cannes à pommes d'or; ils nous
intéressaient extrêmement. Ils avaient suivi Virgile pas à pas, Homère
lui-même, en Italie, en Grèce. Ils connaissaient toutes les sinuosités des
rivages chantés par ces poètes: ce sont des jouissances qui nous sont
interdites.
Si ces jouissances de l'esprit nous sont refusées, à plus forte raison
devons-nous nous refuser les jouissances corporelles. Que faire dans la
tentation ? Invoquer Jésus, Marie, Joseph. Crier vers Dieu: “Dieu, viens à
mon aide”, et puis se tenir tranquille. Faut-il, en présence de l'occasion
du péché prendre une contenance affectée, détourner les yeux ? Non. Dans
nos lectures, dans nos études, quand nous serons obligés de nous trouver en
face du mal, faisons comme les médecins en temps de peste et de choléra.
Prions, n'y attachons point notre cœur, et purifions-nous aussitôt par la
prière. Soyons modestes dans nos regards; voyons sans regarder, comme disait
notre saint Fondateur. Que notre regard soit simple et qu'il reflète la paix
et la tranquillité de notre âme. Evitons surtout d'être ridicules, évitons
tout ce qui peut se remarquer quand nous sommes devant des femmes. Evitons ces
précautions exagérées des anciens auteurs. Saint François de Sales, sainte
de Chantal, ne veulent pas que leurs enfants soient ridicules. La chasteté,
comme l'humilité et la mortification, ne doit pas s'afficher, se montrer à
l'extérieur. Quand on fait le vertueux, Dieu se retire comme devant l'orgueil,
devant la présomption; et sans l'aide divine on tombe bien bas.
“Au secours, Seigneur, nous périssons” (Mt 8:25). Saint Pierre ne se
fiait pas à sa voile, à sa rame, à sa connaissance des bas-fonds sur
lesquels il pouvait échouer. Il appelait à son secours Notre-Seigneur. C'est
de lui seul, en effet, que viennent le secours et la force. Notre retraite est
achevée, c'est le moment d'en recueillir les fruits. Nous continuerons cette
retraite dans le silence de notre âme, pendant toute l'année. Dans nos
moments d’angoisses, rappelons-nous nos résolutions, cela nous fortifiera.
Les uns vont renouveler leurs vœux, les autres se préparer à les prononcer
bientôt. Prions le bon Dieu de nous venir en aide à tous. Le souffle de Dieu
a passé sur nous pendant la retraite. Laissons-le passer encore pendant l'année;
écoutons-le. Pratiquons le recueillement intérieur, c'est-à-dire la vie
intime avec Notre-Seigneur. Le grand moyen de pratiquer le recueillement,
c'est d'être fidèle au Directoire, et particulièrement à l'article de la
Direction d'intention, c'est de prendre avant chaque action la main du Sauveur,
pour qu'il fasse avec nous ce que nous avons faire.
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