Retraites 1884
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NEUVIÈME
INSTRUCTION
La pauvreté
Je veux vous parler ce matin du vœu de pauvreté. La pauvreté n'a pas
seulement pour but de nous éloigner des distractions, de l'attachement aux
biens de la terre. Son but principal est de nous unir à Dieu. Nous devons
nous conformer à notre Seigneur Jésus-Christ; et Dieu et Notre-Seigneur se
donnent à ceux qui ne sont attachés à rien. La pauvreté pratiquée par
Notre-Seigneur n'est pas d’institution évangélique: elle était pratiquée
sur la terre avant Notre-Seigneur. Les prophètes étaient pauvres. Saül à
la recherche des ânesses de son père, disait: “Le pain a disparu de nos
sacs et nous n’avons pas de rétribution à offrir à l’homme de Dieu”
(l S 9:7). Samuel recevait donc l’aumône. Et Elie: “Comment est l'homme
qui t'a dit ces choses?” demandait le roi d'Israël. “Il est vêtu de peau
de bêtes, il a une longue barbe, tout son extérieur ressent la pauvreté.”
— “C'est lui, qu'on le tue!” Daniel et les jeunes Hébreux vivaient dans
la plus stricte pauvreté à la cour de Nabuchodonosor (Dn 1, 5-12). Les Réchabites
habitaient sous des tentes, et leur alimentation était des plus austères (1
Ch 2:55; Jr 35). Les enfants des prophètes se nourrissaient de mets grossiers.
Un jour que celui qui était chargé de la cuisine n'avait rien à mettre dans
sa chaudière, il cueillit une espèce de concombre qu'il trouva dans un champ.
A l’heure du repas quand on en mangea, c’était si amer que les convives
se crurent empoisonnés: “Homme de Dieu! Il y a la mort dans la marmite!”
(2 R 4:40) Mais Elisée, accouru à leurs cris, corrigea l’amertume du mets
en y jetant un peu de farine (4 R 4:40). C'était donc l'esprit de pauvreté
qui faisait les prophètes.
La récompense de cette pauvreté était le don des miracles. Saint
Jean-Baptiste pratiqua la pauvreté dans le désert. Il était vêtu de poils
de chameau et ne se nourrissait que de sauterelles et de miel sauvage.
Notre-Seigneur Jésus-Christ fut le plus pauvre des enfants des hommes. Né
dans une étable, il grandit dans la maison de Nazareth. Les anges ont
transporté cette maison à Lorette pour que nous puissions juger de la
pauvreté de Notre-Seigneur. Dans sa vie publique, il pouvait dire: “Les
oiseaux du ciel ont leur nid, les renards ont leur tanière; mais le Fils de
l'homme n'a pas où reposer sa tête” (Mt 8,20; Lc 9,58). Quand il s'arrêtait
à Capharnaüm, c'était dans une maison d'emprunt.
Les saints ont suivi cet exemple. Saint Paul faisait des nattes pour gagner sa
vie. Saint Augustin pratiquait la pauvreté dans la vie commune. Notre saint
Fondateur pratiquait la pauvreté. A sainte de Chantal, qui lui apportait une
soutane neuve: “Mais vous me soignez comme si j’étais riche, lui dit-il.
Je n’ai que faire de deux soutanes, je n'en use qu'une tous les deux ans”.
Quand les pauvres venaient lui demander de dire la messe pour eux, il recevait
avec joie ce qu’ils lui offraient et mettait précieusement leurs noix et
leurs châtaignes dans les plis de son rochet, parce que c'était l'obole du
pauvre.
Tous les Ordres religieux ont pratiqué la pauvreté. Les Franciscains avec
leurs habits grossiers et rapiécés ont été les apôtres de la pauvreté.
Un moine, raconte Rodriguez, qui avait déchiré sa robe, y mit une belle pièce
de drap neuve. Il se complut à regarder le bel ouvrage qu'il avait fait. Le
soir il aperçut un singe aux formes hideuses qui léchait complaisamment la
pièce de drap, comme si elle eût été pleine de délices et de saveur pour
lui. Le prince de Hohenlohe, le thaumaturge de notre siècle, vivait très
pauvrement au milieu des richesses, et c'est à cet esprit de pauvreté, sans
doute, qu'il a dû le don des miracles, de ces guérisons admirables, qui
l'ont rendu si populaire. Lui et la bonne Mère s’aimaient et se
comprenaient bien.
La bonne Mère aimait beaucoup la pauvreté. Elle l'a pratiquée quelquefois
bien durement, à Metz, où elle avait été envoyée toute jeune Religieuse,
et où elle tomba malade par suite des privations. Mais elle eut, à Metz, de
bien vives consolations et d'admirables visites du bon Dieu. La récompense de
la pauvreté était autrefois le don des miracles: c’est maintenant l'union
à Dieu, l'amour. Le grand saint François d'Assise aimait extrêmement la
belle vertu de pauvreté. Il l'avait prise pour sa dame, il la chantait:
“Sainte et glorieuse épouse de mon âme, je te salue. Je te vois, avec le
Sauveur sur l'arbre de la croix, toi seule, tu ne l'as pas abandonné à cette
heure où tout le monde le délaissait”. Il chantait ainsi sur le mont
Alverne, et un Séraphin crucifié descendit du Ciel et imprima dans sa chair
les stigmates de la Passion. Sainte Thérèse disait à ses filles: “Dieu
nous aimera tant que nous resterons pauvres. Aimons à porter notre habit qui
est bien grossier. Aimons nos cellules où nous n'avons que de la paille pour
dormir; aimons notre réfectoire, où nous n'avons que la mortification pour régal;
aimons notre Crucifix où Jésus est attaché”.
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