Retraites 1883
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DIXIÈME
INSTRUCTION
L’obéissance
et la pauvreté
Je ne vous ai fait entrevoir ce
matin que le côté difficile de l'obéissance: le sacrifice. Je veux vous
signaler ce soir les récompenses de l'obéissance. Tous les maîtres de la
vie religieuse nous ont livré les plus belles considérations sur les
avantages qu'elle procure. Les annales monastiques abondent en faits
miraculeux, en gracieuses légendes prouvant que Dieu récompense dès ici-bas
l'obéissance généreuse et complète. C'est par exemple, ce religieux de
saint Benoît qui s'est laissé surprendre par le signal à la fin du repas.
Après avoir fidèlement recueilli dans sa main les miettes de la table,
suivant les prescriptions de la Règle, il n'a pas eu le temps, avant le
signal des grâces, de les déposer sur le coin de son assiette. Il suit ses
frères à la chapelle, gardant toujours les miettes dans sa main. Puis il va
s'accuser de son infraction à la Règle. Il ouvre la main: les miettes s’étaient
changées en de belles perles, qui furent serties dans les ornements de l'église.
C'est la légende du jaune d'or
des vitraux, que tous les peintres verriers du Moyen-Age avaient cherché en
vain. Un moine vitrier, penché sur son creuset, tentait au XVIe siècle d'en
découvrir le secret. La cloche sonne, le religieux part. La croix d'argent
qu’il portait sur lui tombe dans le creuset; il ne s'arrête pas pour l'en
retirer. A son retour, il la trouve fondue mais elle avait coloré le mélange,
et le jaune d'or était trouvé. C'est encore ce moine qui dessinait une
vignette de manuscrit. Quelques traits encore et son ouvrage serait terminé,
mais la cloche l'appelle. Il quitte tout, et quand il revient prendre son
pinceau, la miniature est achevée, mais elle est si belle que nombreux sont
ceux qui accourent pour la reproduire. Il est fort probable que ces miracles,
ne se renouvelleront pas en notre faveur, mais nous aurons, ce qui est préférable,
ce que nous souhaite notre saint Fondateur et ce que saint Paul a promis aux
Philippiens, la paix: “Alors la paix du Christ, qui surpasse toute
intelligence, prendra sous sa garde vos coeurs et vos pensées, dans le Christ
Jésus” (Ph 4:7). Cette paix de Dieu garde l'intelligence qui allait s'égarer.
On vous commande quelque chose qui blesse votre propre jugement: il s’en
vient, comme le flot irrité, se briser contre le rocher de l'obéissance.
Laissez, la paix de Dieu viendra, apaisera et illuminera tout.
Passons au second voeu du
religieux, la pauvreté. Par le voeu de pauvreté, le religieux est comme mort.
Il est mort au monde et aux biens du monde. Il ne peut ni recevoir, ni donner:
il n'a rien en propre. L'Eglise est très rigoureuse sur ce point des
Constitutions des ordres religieux, encore qu'il faille admettre, à cause des
lois civiles, certains actes extérieurs de propriété. Dans nos premières
Constitutions, nous avions rédigé avec tout le soin possible cette question
de la pauvreté religieuse. On nous renvoya nos Constitutions accompagnées
d'un chapitre rédigé en latin à insérer dans le texte. Ce chapitre entrait
dans tous les détails du voeu de pauvreté plus rigoureusement que nous ne
l'avions fait. Et ce qu'on nous a donné est ce que l’Eglise impose
actuellement à toutes les Congrégations qui font le voeu de pauvreté.
Comment pratiquer la pauvreté?
En nous abstenant d'abord avec soin de tout acte de propriété. Nous pécherions
gravement en violant notre voeu. Et puis soyons pauvres:
Dans la nourriture. Nous
n'avons pas de mortifications extraordinaires à faire. Notre nourriture doit
être saine et abondante. Quand les Bénédictins de la Pierre-qui-vire (c'est
de l'un d'eux que je tiens ce détail) présentèrent leur première Règle à
Pie IX, celui-ci s’écria: “Mais cette Règle est faite pour des anges et
non pas pour des hommes!” Et il mitigea lui-même les rigueurs excessives
imposées à ces hommes qui devaient s'adonner à la prédication. Prenez la
nourriture qu’on vous donne. Soyez fidèles à la mortification de règle.
Mettez toujours un peu d'eau dans le vin. “Il y en a déjà “, me
direz-vous, mais ne craignez pas d’en ajouter encore un peu. Vous vous
trouvez dans un repas de cérémonie, on vous sert des vins fins. Y mettre de
l'eau serait blesser l’hôte qui vous reçoit; n’en mettez pas alors, mais
mortifiez-vous un peu par ailleurs.
Dans le vêtement. Que les vêtements
soient propres, non élégants. Il faut de la simplicité dans tout l’extérieur.
Le roi Philippe d'Espagne reçut un jour en audience un jeune religieux, élégamment
vêtu, chaussé de petits souliers découverts. Il était venu porter plainte
au roi de ce qu'un grand seigneur chassait dans les forêts du monastère,
coupait les raisins et dévalisait les récoltes. “Oui, il est bien méchant
ce seigneur, reprit le roi, sans doute aussi il a dévalisé vos tanneries et
volé votre cuir. Je lui pardonne tout, hormis cela: ne pas vous avoir laissé
de cuir pour finir vos chaussures!” Le religieux comprit la leçon, et s'en
alla confus.
Dans l'ameublement. Dans
l’ameublement des cellules, qu'il y ait un lit, une chaise ou deux, une
petite table, un rayonnage pour mettre quelques livres, un crucifix, quelques
images pieuses, et que ce soit tout. Dans la visite qu’il vient de faire à
la Grande Chartreuse, le Père Latour me disait que ce qui l’avait le plus
touché c'était la pauvreté de l'ameublement des religieux dans leurs
cellules.
Dans la construction des
maisons. Qu'elles soient toutes construites à la capucine. Ayons honte
d'habiter dans de magnifiques maisons: pas de luxe. Que les chambres où l'on
reçoit les étrangers, le parloir, l'économat soient un peu plus ornés. Du
reste, nous n’avons qu'à continuer ce que nous avons fait jusqu'à présent
sous ce rapport. Je faisais visiter, il y a quelques semaines, au père de
Monsieur de Bellaing le Petit Collège. En passant, dans le corridor, j'ouvris
la porte d’une cellule. Monsieur de Bellaing se mit à genoux et me dit tout
ému: “Voilà bien la cellule d’un religieux!”
Demandons l’esprit de pauvreté
à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Prenons exemple sur la famille de Nazareth,
et nous serons de vrais religieux.
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